La Dr. Pam Palmater est une activiste, avocate, professeure, baladodiffuseuse, autrice, citoyenne mi’kmaw et membre de renom de la Première Nation d'Eel River Bar au nord du Nouveau-Brunswick, au Canada. Elle a passé sa carrière de 30 ans à défendre les peuples autochtones et à promouvoir la souveraineté autochtone, la gouvernance et la reconstruction de la nation, tout en défendant les enjeux reliés aux droits de la personne, aux droits issus de traités, à l'éducation et à la législation. Comme elle l'a dit dans notre entretien, le thème central de son travail est l'éducation par l'action—amener les gens de tous les âges à s'engager, à s'activer et à unir leurs voix pour promouvoir les droits autochtones, la justice sociale et la justice terrestre.
Ce fut un plaisir et un honneur de parler avec la Dr Palmater de sa vie, son travail et le Land Back, le mouvement de plus en plus influent visant à restituer les terres aux nations autochtones.
Pourriez-vous nous parler un peu de vous et de la façon dont vous avez commencé à vous impliquer dans ce travail?
Je suis originaire de la nation souveraine mi'kmaw, sur le territoire non cédé de Mi'Kma'ki, situé à l'est du Canada et dont une partie se trouve aux États-Unis, et ma communauté natale est Ugpi'ganjig, ou la Première Nation d'Eel River Bar. Je viens d'une grande famille de huit soeurs et trois frères et d'un million de cousines, cousins, nièces et neveux. Ils étaient tous, pour la plupart, très politiquement actifs. Beaucoup d'entre eux étaient plus âgés que moi et s'impliquaient au niveau communautaire, en travaillant pour des organismes qui représentent les Autochtones vivant hors réserve ou les Autochtones ayant besoin de services d'aide à l'enfance et à la famille, comme le placement en famille d'accueil, ou encore aux problèmes de logement ou de reconnaissance des Autochtones, aux droits ancestraux et issus de traités des Autochtones, à la chasse et à la pêche, entre autres. À vrai dire, depuis ma plus tendre enfance, c'est ce que j'ai passé la plupart du temps à faire : aller à des manifestations, des ralliements, des négociations avec le gouvernement, des séances d'éducation communautaire et des séances de stratégie. J'ai donc grandi dans ce monde et je ne connaissais rien d'autre.
En quoi consiste le mouvement Land Back?
Il consiste carrément à redonner les terres aux nations autochtones. Mais aussi à leur redonner les ressources et les cours d'eau. Il vise à faire respecter notre souveraineté, notre droit à l'auto-détermination et nos lois et compétences sur toutes ces terres qui nous ont été enlevées à tort. Il porte aussi sur le fait d'obtenir réparation pour toutes les terres que nous ne pourrons récupérer et pour toutes les choses que nous avons perdues sur ces territoires.
Bien que le Land Back semble nouveau, c'est essentiellement le message que nous communiquons depuis le premier contact. Qu'il s'agisse de Wetʼsuwetʼen Strong, Mi'kma'ki Strong, 1492 Land Back Lane, ou Secwepemc land defense—tous ces sujets portent vraiment sur la même idée.
Il semble que dernièrement le mouvement reçoive vraiment plus d'attention dans les médias grand public. Comment expliquez-vous cela?
Tout découle de notre accès aux médias sociaux et à l'Internet. Ce que les médias sociaux nous ont permis de faire en tant que peuples autochtones est de franchir cette barrière impénétrable que constituaient auparavant les médias sociaux grand public. Avant l'avènement des médias sociaux et de l'Internet, la seule information qui était diffusée provenait de points de discussion du gouvernement, de communiqués de presse émis par de puissantes entreprises bénéficiant d'un budget de publicité, ou de commentateurs de médias stéréotypés que vous entendiez aux bulletins d'information le soir. Vous n'entendiez pas les gens ordinaires, ni les communautés sur le terrain.
On peut maintenant envoyer instantanément des vidéos, des balladodiffusions, des blogues, des photos et des rapports partout dans le monde. Et, bien entendu, dans ce cadre plus général, nous pouvons nous connecter les uns aux autres dans nos communautés à l'échelle de l'Île de la Tortue, en Amérique du Nord. Tout se résume à l'accès aux faits au-delà de la rhétorique politique, et je pense que les Canadiens et les Américains apprécient vraiment l'accès aux faits en temps réel, pour ainsi nous aider à maintenir la pression.
Pourrions-nous revenir en arrière et parler de comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle, avec les Autochtones qui possèdent un faible pourcentage de toutes les terres au Canada?
Les nations autochtones du Canada ne possèdent que 0,2 % des terres qu'elles devraient avoir! Je sais que les autorités amérindiennes ou tribales des États-Unis en possèdent un peu plus, mais pas tellement plus. Comment en sommes-nous arrivés là? Eh bien, en raison des siècles de colonisation violente par les colons, les gouvernements colonisateurs, les compagnies et les corporations, et aussi en raison des lois et politiques génocidaires, et ces pratiques sont encore présentes.
Tout revient à ce qu'ils appelaient la politique indienne au Canada et aux États-Unis. De quoi s'agit-il? Eh bien, les gouvernements avaient deux objectifs : (1) acquérir les terres et les ressources des Autochtones et (2) réduire leurs obligations financières en vertu de traités ou d'autres ententes avec les nations autochtones. Et c'est exactement ce qu'ils ont continué à faire, en s'engageant dans des actes d'assimilation forcée dans les pensionnats et, par dessus le marché, sous le déguisement de dépouiller les Autochtones de leurs terres et de les placer dans de petites réserves pour leur retirer leurs terres, leurs ressources et leur souveraineté, en plus de s'approprier le pouvoir de gouverner ces territoires.
Que réclame le mouvement Land Back? Comment ça fonctionnerait?
Je pense que le point le plus important à comprendre est que le Land Back ne veut pas dire sortir tous les colons de leurs maisons. Cela est une erreur de compréhension fréquente, mais il ne s'agit pas de ça. Toutes les personnes du mouvement Land Back avec lesquelles nous travaillons ont mentionné à maintes reprises que nous n'aurions jamais fait subir à nos amis, voisins et alliés les abus de violence, de traumatisme, de dépossession et de droits de la personne qu'on nous a fait subir. Ce n'est pas la solution. De plus, nous savons également que les terres privées, surtout ici au Canada, représentent un très très faible pourcentage. La majorité des terres, plus de 90 %, appartiennent à la Couronne, que ce soit la Couronne fédérale ou la Couronne provinciale. Ces terres sont plus que suffisantes pour permettre d'en restituer une partie aux nations autochtones et cela n'aurait aucun impact sur nos alliés, amis et voisins colons et les membres de leur famille.
Comment ça fonctionnerait? D'abord avec les gouvernements, il faudrait s'asseoir avec eux et négocier de bonne foi les terres à nous retourner, le processus, et en plus de nous retourner des terres, il faudrait discuter du partage des ressources sur ces territoires. Comment gouverner conjointement les territoires et les ressources? Je pense que ces points sont très très importants. Qund je parle de ressources, je ne me limite pas aux ressources naturelles. Je parle aussi d'autres types de ressources : les taxes, les honoraires, les licences, les locations, les redevances, et toute la richesse qui est générée par ces territoires, incluant les taxes sur les terres, pourraient être partagés en partie avec les nations autochtones et générer suffisamment d'argent pour soutenir nos nations.
Le Land Back est assez simple. Les parties doivent s'asseoir et négocier. Cela comprend les compagnies, les corporations et les universités, qui s'approprient depuis longtemps les terres et les ressources des Autochtones. Elles pourraient lancer un appel à la réconciliation et restituer les terres aux tribus locales des États-Unis ou aux Premières Nations du Canada, et trouver d'autres façons de partager les terres à d'autres fins. Cela s'applique aussi aux particuliers. Bien des personnes qui possèdent beaucoup de terres amorcent déjà le processus de restitution des terres.
Concernant le Land Back, pouvez-vous parler de l'importance de l'intendance des terres, surtout en lien avec le changement climatique et la dégradation de l'environnement?
Je pense que le Land Back est la solution à ces enjeux parce que les gouvernements ne font pas assez de progrès. Nous venons d'assister à la COP26, le rassemblement international des pays, et ils ont été incapables de prendre les mesures braves, responsables et radicales qui sont nécessaires pour mettre un frein au changement climatique. Les environnementalistes, les conservationnistes et les scientifiques comme David Suzuki affirment depuis longtemps que la solution au changement climatique est de respecter les droits des Autochtones et la gouvernance des territoires autochtones.
Nous mettons littéralement nos vies en jeu pour défendre ces terres. Nous essayons de mettre un frein au changement climatique. Nous essayons de dissuader l'industrie pipelinière et les autres industries extractives de polluer notre eau. Le Land Back est lié à la souveraineté et à l'auto-détermination et nous avons un mot à dire sur ce qui se passe. Imaginez un mouvement Land Back où les nations autochtones pourraient décider de ce qui se passe sur leurs territoires, et s'engager dans des partenariats verts pour des technologies vertes, une éducation verte, une énergie verte, un partage de connaissances et de sciences autochtones traditionnelles en lien avec la protection de la planète, la rééducation des travailleurs des industries extractives. C'est une occasion incroyable.
Quelle est la meilleure façon pour les gens d'aider à soutenir le mouvement Land Back?
Je pense que, d'abord et avant tout, si vous ne connaissez pas assez le mouvement, engagez-vous à faire un peu d'auto-éducation. Identifiez les nations autochtones qui se sont prononcées sur les enjeux des terres et de l'eau, les questions environnementales, soit les Premières Nations au Canada et les gouvernements amérindiens aux États-Unis. Que disent-ils? Que font-ils? Que disent les Inuits au Canada et les autochtones de l'Alaska aux États-Unis sur le changement climatique?
Tout le monde peut faire quelque chose. Que ce soit un don d'argent ou une campagne de financement, que vous soyez chercheur ou spécialiste des communications ou des TI. Vous pouvez contribuer d'une façon ou d'une autre, visiblement ou discrètement. Vous pouvez partager ce que vous voyez sur les médias sociaux. Plus vous aimez, commentez, partagez et souscrivez aux idées sur les médias sociaux concernant les actions des Autochtones, plus vous déclenchez des algorithmes qui les enverront à plus de personnes qui ne les auraient pas autrement. C'est l'une des choses les plus faciles et les plus simples à faire, en plus d'envoyer des courriels à vos sénateurs, votre Chambre des représentants, vos membres du Parlerment, vos députés provinciaux, vos politiciens et la communauté internationale. Faites entendre votre voix.
Y a-t-il des enjeux que les autres mouvements de justice et le mouvement Land Back ont en commun et pourraient combattre ensemble?
Oui. Nous sommes plus forts quand nous travaillons tous ensemble pour la justice sociale et la justice terrestre. Que ce soit Black Live Matter, Stop Asian Hate, ou le mouvement Land Back, tout se résume aux droits de l'homme et à la protection de la planète. Et le rythme continue à s'intensifier. Je trouve que ces alliances se consolident davantage entre le Canada et les États-Unis. Lorsque nous nous tournons vers la communauté internationale, disons vers les organismes créés en vertu de traités relatifs aux droit de l'homme, notamment la Commission interaméricaine des droits de l'homme ou la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, et que nous faisons valoir nos droits, nous travaillons tous ensemble de façon solidaire. Je pense que cette tendance se poursuivra à l'échelle planétaire.
À quels projets travaillez-vous actuellement que les gens devraient connaître?
Eh bien, je travaille à la baladodiffusion Warrior Life qui s'adresse à la fois aux nations autochtones et non autochtones, et consiste à faire entendre les voix des guerriers autochtones qui font du bon travail. Il peut s'agir d'avocats, de défenseurs, d'éducateurs, d'acteurs, qui contribuent tous de nombreuses façons. Mais dans la plupart des cas, j'essaie de faire entendre les voix de guerriers populaires, de défenseurs de la terre et de protecteurs de l'eau sur le terrain et d'activistes des droits de l'homme. Ensuite, je travaille à la baladodiffusion Warrior Kids, qui célèbre tout ce qui est autochtone pour que les enfants découvrent les contributions des Autochtones et des choses intéressantes sur les peuples autochtones, dans le but d'éduquer les enfants pour les faire passer à l'action. En fait, tout se résume à mobiliser, inspirer et faire bouger les enfants - de petits guerriers en formation.
J'ai également mon canal YouTube, où je discute des enjeux juridiques et politiques dans de courtes vidéos pour ensuite les rendre accessibles. Les gens ne connaissent pas tous le contexte juridique, historique ou politique des enjeux actuels. Il est donc important qu'ils soient au courant du contexte, de ce qui se passe et de ce que nous pouvons faire. Le thème général est l'éducation pour passer à l'action, toujours. Ce n'est pas à titre d'information ou de divertissement, mais plutôt pour l'éducation pour passer à l'action, pour la justice sociale et la justice terrestre
Vous êtes activiste, avocate, éducatrice, baladodiffuseuse… Trouvez-vous que vos différents rôles ou vos différentes compétences se complètent dans le processus de diffusion du message sur le Land Back?
Certainement. Je donne parfois des présentations dans des écoles et à certains élèves de maternelle ou de première et deuxième années. Les commentaires que je reçois des enseignants indiquent que ma façon d'expliquer les choses aux enfants leur a finalement permis de comprendre les enjeux, parce qu'ils tentent de poursuivre leur formation personnelle et d'en savoir plus sur les actions en justice, sans toutefois s'embourber dans toutes les technicalités qui détournent l'attention des véritables enjeux en cause. Si vous pouvez expliquer les enjeux d'une façon que les enfants puissent comprendre, cela aide également les adultes à se familiariser avec la matière.
De plus, les gens apprécient quand vous répondez simplement à la question. Rien n'est plus ennuyeux que de poser une question à un politicien—« Êtes-vous pro-pipeline ou non? »—et pendant 10 minutes il parle de tout et de rien sans vraiment répondre à la question. J'essaie d'être directe et franche. Je ne parle pas au nom des autres, personne ne peut parler au nom des autres, mais j'ai beaucoup d'expérience. J'ai travaillé avec de nombreux Autochtones et je peux affirmer en toute confiance que la plupart de mes paroles ont été reprises par d'autres personnes, et que j'ai appris des défenseurs de la terre et des aînés quelles étaient leurs préoccupations et ce qu'ils voulaient voir aller de l'avant. Les aînés m'ont toujours dit : « Dis simplement la vérité, répond directement à la question et les gens l'apprécieront vraiment. » Je ne peux faire fausse route avec les sages conseils de nos aînés.